Association Loi 1905

Association Loi 1905
« En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l'Église chez elle et l'État chez lui. »

L’association a pour objet de favoriser, développer et promouvoir :

- Des actions dans le domaine social et culturel autour de l’esprit de la loi de séparation

des églises et de l’État adoptée le 9 décembre 1905 ;

- Un débat quant à son adéquation avec notre société ;

- Une commémoration annuelle de sa promulgation.

jeudi 15 janvier 2015

On peut être Charlie (ou non) : Soyons républicains



Un texte de Jean Baubérot, Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes
Après le temps de la sidération face à l’horreur, celui de la « fraternité ». Comme les autres personnes qui ont participé à la manifestation parisienne d’hier (et je suppose qu’il en fut de même ailleurs), j’ai été frappé par la force collective, l’unité dans la diversité qu’elle a représentée. Bien sûr, la présence de certains chefs d’États la marquait d’une certaine ambiguïté mais là n’était pas l’essentiel, loin de là. L’essentiel consistait à partager un amour de la liberté, à montrer à ceux qui seraient tentés de croire qu’une violence, aveugle ou ciblée, déstabiliserait la France, qu’en fait ce genre d’action est, pour eux, totalement contreproductif. Que leur croyance selon laquelle on ne trouve, dans ce pays, que le vide quant aux valeurs, est complètement fausse. C’est toute une part habituellement immergée de la réalité sociale qui est apparue au grand jour ce week-end.

Dans les blogs, j'ai l’habitude de m’exprimer comme sociologue, historien, citoyen. Ce n’est pas un lieu où je mets en avant mon protestantisme. Je me permets aujourd’hui une dérogation. En effet, ce n’est pas seulement comme laïque, c’est aussi comme protestant que je suis attaché au droit au blasphème. En ceci, je ne fais que suivre une filiation protestante ancienne. En 1826 et 1839, dans deux ouvrages, qui lui valurent, à chaque fois, le prix de la « Société de la morale chrétienne », le théologien Alexandre Vinet (1797-1847) se montre un ardent défenseur, non seulement du « droit d’adopter aucune religion » (en un temps où cela n’avait rien d’évident), mais du « droit de manifester son incrédulité » : les « voix ennemies » de la religion doivent pouvoir s’exprimer « aussi librement qu’elle car il n’y a pas de vraie foi sans conviction ni de conviction sans examen ». Vinet, qui a eu des disciples très divers, était un protestant évangélique, certains le traiteraient de « fondamentaliste », ce qui montre bien que l’on peut avoir une foi non « modérée » dans son contenu, et pourtant parfaitement respectueuse de la liberté d’autrui, à partir du moment où l’on est convaincu que la recherche authentique de la vérité présuppose l’absence totale de contrainte. Pour Vinet, limiter la liberté de conscience, c’est devenir « spoliateur de Dieu lui-même ». Ce propos, écrit en 1826, est toujours actuel.

La laïcité, c’est l’imposition de la liberté aux religions. Telle est la perspective que j’ai toujours défendue, ici même et dans mes différents ouvrages. Depuis mercredi, je repense avec émotion au fait que Cabu avait accepté, avec élan, d’être l’auteur du dessin de couverture de l’un d’entre eux. Pourtant, notre conception de la laïcité n’était pas exactement la même. C’était encore moins le cas pour d’autres rédacteurs et dessinateurs de l’hebdomadaire. Mais l’important, dans cette affaire, est la liberté de conscience, d’expression, non leur ligne éditoriale. La loi sur la liberté de la presse fut, avec la liberté de réunion, la première des grandes lois de liberté votée par la Troisième République (1881). La dernière fut la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (1905) proclamant : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Et la jurisprudence inversa, à partir de cette loi, l’ordre des priorités. La liberté devint la règle et il fallut, désormais, prouver qu’un ordre public démocratique était réellement menacé pour pouvoir l’invoquer.

Ces jours-ci, plusieurs personnes ont attiré l’attention sur le danger de transformer le combat pour la liberté en combat pour une pensée orthodoxe. « Nous ne sommes pas tous le même Charlie » indique Gustave Massiah (Libération, 11 janvier). Attention à ne pas canoniser les victimes. Attention à accepter le droit à la critique, fut-elle considérée comme blasphématoire, à l’égard de représentations de la laïcité, comme à l’égard de représentations philosophiques ou religieuses. Sinon, le combat est dénaturé. Il n’est plus le droit à l’erreur mais l’imposition d’une pensée unique, qui devient dominatrice. Il ne faut pas réduire au silence ceux qui sont à la fois solidaires et contestataires, comme l’Union Juive française pour la paix (Etre ou ne pas être Charlie, là n’est pas la question). Pour ma part, je relèverai un exemple où Charlie-Hebdo s’est trompé : La République est « une et indivisible », « tout le monde sait cela » est-il écrit dans le Hors-série : « La laïcité c’est par où ? » Or ce n’est pas le cas : la Constitution énonce : la France est une République « indivisible, laïque, démocratique et sociale (...) elle respecte toutes les croyances ». L’adjectif « une » n’est présent que dans la Constitution jacobine de 1793. En 1946, au lendemain de la Libération, on l’avait déjà enlevé, pour faire droit à la diversité. « L’esprit de Charlie, c’est de pouvoir nous engueuler librement » a déclaré Cohn-Bendit. Le débat entre laïques est plus que jamais indispensable.

Mais, pour prolonger un peu le climat qui s’est manifesté, une mesure politique, d’une importance symbolique non négligeable, pourrait être adoptée. Patrick Cohen a déclaré hier soir, à l’émission commune de France 2 et des radios du service public, que le délit de blasphème n’existe plus en France depuis la Révolution. Or, c’est faux : ce délit existe toujours dans le droit applicable en Alsace-Moselle. Son abolition constituerait la preuve d’une volonté de la classe politique de mettre (enfin !) ses actes un peu en accord avec ses paroles.

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